L'idéologie de Confucius

11/02/2022

Magazine l'Histoire : L'idéologie Confucius : des Han à Xi Jinping

Intro : Idéologie impériale

On ne sait pas grand-chose de la vie du personnage, parce qu'il est mort sans laisser aucune trace écrite, et les sources le concernant sont tardives. Les Entretiens, compilés dans les siècles suivants, 400 ans après sa mort ont été rédigés par Sima Qian, le premier historien chinois de la dynastie Han.

Anne Cheng : « Ce que l'on sait de Confucius tient largement à la manière dont-il a été réinventé sous les Han, pour servir à la reconstruction impériale ».

Le confucianisme est vu comme la spiritualité d'une pensée humaine, mais c'est d'abord une pensée politique. Dans la société chacun trouve sa place dans une relation hiérarchisée matérialisée par des rites. L'objectif de Confucius était d'instaurer une morale permettant de distinguer les hommes de bien, digne d'assurer des responsabilité. Après des siècles de désordre, Confucius appel à un pouvoir unifié permettant de mettre fin à la dissolution politique de la Chine. Ce sera le devoir des lettrés-fonctionnaires d'y contribuer. Ils seront recrutés sur leurs mérites (connaissance des classiques confucéens), afin d'assurer la stabilité de l'Empire. Ainsi, il y a 2 000 ans se constitue une « idéologie impériale ». Au 16e siècle à l'époque des Ming, l'organisation a plu au jésuites, qui ont réalisés la 1er traduction de maître Kong, dont le nom latinisé donne Confucius.

Les principes de cette force idéologique ont traversés les siècles, avant de sombrer un peu au 20e siècle avec les restes de l'Empire. Les gardes rouges de Mao Zedong firent de Confucius une cible privilégié, car accusé de tous les maux. Le confucianisme a servit durant toutes les périodes de troubles, d'explication à tous les échecs. Depuis 40 ans la Chine émergente a redécouverte les vertus d'un système qui conforte sa puissance et sa cohésion, sous une autorité unique, autour de valeurs ancestrales qui ne doivent rien à l'occident. Avec ses 458 institutions Confucius planté dans le monde, il est devenu un instrument de propagande efficace pour le gouvernement de Xi Jinping, qui fait de Confucius le porte-drapeau des « valeurs asiatiques » contre l'universalisme des droits de l'Homme.

Chapitre I : Les cent visages de Confucius (intervention de la sinologue Anne CHENG)

Confucius (551-479 av. J-C), appelé Kong Fuzi (maître Kong), est un personnage historique ayant réellement existé, contrairement à Laozi, le fondateur mythique du taoïsme. Toutefois, comme Socrate, il n'a laissé aucun écrit de son vivant. Ce dont on soit sûr, c'est qu'il est né dans le pays de Lu (actuel Qufu dans la province du Shandong) durant les périodes de divisions de la Chine du 6e siècle av. J-C appelé les Printemps et Automnes (771-481 av. J-C).

Que sait-on de Confucius ?

Des sources écrites trop tardives pour être entièrement fiable nous disent que Confucius était de basse noblesse, donc considéré comme relativement médiocre, il aurait mené une carrière politique de fonctionnaire banal dans différents États vassaux de la dynastie des Zhou (206-220 av. J-C). A ses débuts, il a été ministre de la justice dans son royaume sans parvenir à atteindre une position élevé. Puis à 60 ans, déçu par le seigneur de Lu, il se met au service d'autres vassaux de Zhou et parcours avec ses disciples les pays de Qi, Wei, Song, Chen et Cai durant 10 ans mais sans parvenir au succès. A 70 ans il retourne à Lu et se consacre jusqu'à sa mort à l'enseignement. Cet bibliographie fut rédigé par l'historien des Han, Sima Qian (140-86 av. J-C) intitulé « Mémoires historiques » (Shiji). Les sources sur lesquelles Sima Qian se basent sont des faits, des anecdotes, des citations disséminés dans les textes de la période des royaumes combattants (481-221 av. J-C), dont Sima Qian voulait apparaître comme une sorte de « réincarnation ».

On peut se fier d'avantage aux commentaires des « Annales des Printemps et Automnes » (771-481 av. J-C) (Chunqiu) composés entre le 5e et le 4e siècle av. J-C, décrit comme un banal fonctionnaire que l'on connaît par la sagesse du discours qu'il tient sur la Chine.

Quant à sa pensée, on la connaît surtout à travers ses Entretiens (Lunyu), même si les dates de l'ouvrage sont controversées. Elles ont été constituées au cours de la période des Royaumes Combattants (481-221 av. J-C) et arrivée jusqu'à la dynastie Han et compilé entre 150-130 av. J-C, et d'autres écrits rédigés par des penseurs qui se réclamaient de Confucius comme Mencius et Xunxi.

Cette pensée est-elle politique ?

La pensée qui ressort de ces Entretiens (Lunyu) est un humanisme indissociable d'une conception politique. Pour Confucius l'enjeu premier est de confier les responsabilités à des « hommes de bien » (Junji), qui s'oppose à « l'homme de peu » (Xiaoren). L'homme de bien est doté d'exigences morales exemplaires, dont chaque homme doit œuvrer pour atteindre cet idéal. Ce qui caractérise « l'homme de bien » c'est la vertu d'humanité (Ren), « le bien qu'un homme peut faire à un autre », c'est vers cela que doit tendre l'homme de bien, que les Entretiens illustres sans donner de définition absolue.

Cette vertu d'humanité ne peut se réaliser que dans le cadre des relations hiérarchiques considérés comme indissociables de l'ordre du monde. Le Ren constitue la qualification nécessaire à tout homme politique, mais également le ciment des hiérarchies sociales : « Rares sont ceux qui exemplaires à l'égard de leur parents et de leurs aînés, tendent à se monter contre leurs supérieurs, et à plus forte raison à fomenter des rébellions... piété filiale et respect des aînés ne sont-ils pas la racine même du Ren ? ».

Cette organisation hiérarchique de la société incarne pour Confucius les Rites (Li), un terme qui renvoi d'abord aux rituels royaux des Zhou occidentaux, et par extension à la ritualisation de l'ensemble des comportements sociaux, qui doit permettre à chacun de toujours vivre en relation les uns avec les autres. Ce sont ses disciples qui achèvent de politiser son enseignement.

On peut distinguer deux manières concurrentes de politiser Confucius qui vont influencer le cours de l'histoire impérial : celle de Mencius et celle de Xunzi. Tous deux interviennent à l'époque des Royaumes Combattants, ou de nombreux courant de pensées rivaux comme les légistes proposent des formules de gouvernement aux princes et accusent les disciples de Confucius d'idéalisme abstrait inapplicable au gouvernement des hommes. Ses disciples s'emploient à montrer que l'enseignement de Confucius peut servir de base à un régime politique rival. Mencius dresse l'image d'un souverain qui gouvernent en suivant le principe d'humanité, ce qui lui assure la loyauté de ses sujets. Xunzi, (considéré comme le maître à penser du légiste), prône le recours à des lois et des châtiments dissuasives. Mais il insiste aussi sur le respect de l'enseignement des rites pour réguler les rapports sociaux.

Sous les royaumes Combattants (481-221 av. J-C), les deux rites de la doctrine confucéenne : Ren et Li sont véritablement politisés, et que l'on commence à penser à partir d'eux à des modèles de gouvernement et d'organisation sociale qui joueront ensuite un rôle centrale dans la fonction du régime impérial.

A quel moment Confucius est-il devenu le sage suprême de la Chine ?

C'est sous les Han (206-220 av. J-C), que Confucius devient une figure tutélaire. C'est durant cette période que se fixe les textes par lesquels on le connaît, en partie les Entretiens qui ont servi de recueil éducatif pour la formation des princes héritiers. Cet usage pédagogique se retrouve tout le long de l'Empire. Dans les cahiers d'écoliers datant du 6e - 7e siècles étaient rempli de citation des Entretiens qui fuirent recopiés en guise d'exercices. Les textes des Entretiens, tel que nous le connaissons constitue un recueil de citation pré-impérial véhiculées par le folklore des Royaumes Combattants choisie sous les Han, en lien avec les préoccupations politiques et intellectuelles de l'époque. Ce que l'on sait de Confucius a été réinventé sous les Han, pour servir les besoins de la construction impérial. Sima Qian s'est sans doute appuyé sur le folklore et les légendes qui s'étaient développé autour de Confucius au cours des Royaumes Combattants (481-221 av. J-C).

Sima Qian dépeint la naissance de Confucius comme miraculeuse, né d'une vierge « émue » par un dieu céleste descendu sur terre sous la forme d'un oiseau noir à l'apparence monstrueuse. Ces caractéristiques miraculeuses le rapproche des sages-rois de la mythologie chinoise, dont certains furent marqués par des anomalies physiques : diverses pairs d'yeux, d'oreilles anormalement longues, ect. C'est sous les Han que se développe l'image de Confucius comme le « roi sans couronne ». C'est lui aussi qui rapporte le véritable culte rendu à Confucius en prétendant qu'il s'est imposé aussitôt après sa mort et à durée « sans interruption depuis 200 ans ». Cette satisfaction se traduit le titre de « sage suprême et premier maître » (Zhisheng xianshi) que se voit conférer Confucius en 1530.

Il y avait aussi d'autres penseurs, d'autres sages dans le folklore des Royaumes Combattants (481-221 av. J-C) dont les Han auraient pu se saisir. Sans doute Confucius profite t'il des méthodes de gouvernement que les Han mettent en œuvre entre héritage des légistes et de Xunzi (rites et lois pour tenir le corps social en tenaille, entre enseignement, comportement convenable et châtiments des comportements déviants). Peut-être occupait-il dans la religion populaire une place qui le prédisposait déjà à devenir « le sage suprême et 1er maître » de l'Empire. Dans les sources des Royaumes Combattants des anecdotes édifiantes et des portraits peu flatteurs de Confucius, véhiculés par des lettrés concurrents et des lettrés qui se présentent comme les disciples de Confucius, les Ru : leur formation repose sur la connaissance des classiques et en fait des fonctionnaires indispensables pour le pouvoir impérial qui forment les rangs de lettrés-fonctionnaires (shidafu), recrutés parmi les lettrés (ru), chargé d'administrer l'empire. C'est par eux que va se perpétuer l'héritage de confucéen.

Le paysan Liu Bang, fondateur de la dynastie des Han, avait un tel mépris pour les lettrés qu'il urinait dans leur coiffe, mais il se rendit ensuite compte qu'ils possédaient des compétences indispensables pour l'administration du pays, car ils maîtrisent la culture écrite permettant d'assurer la transmission des ordres impériaux à l'ensemble du pays et de garantir la justice à l'échelle locale. Les confucéens ont monopolisés les postes bureaucratiques de l'Empire chinois, et l'importance de Confucius a cru avec le leur. C'est aussi sous les Han que se met en place un embryon de formation de ces lettrés-fonctionnaires, qui va donner naissance sous les Song (960-1279), la création de l'Académie impériale (Taixue) où sont formés les futurs magistrats de l'administration impériale. Dès les Han, l'enseignement de l'Académie repose sur cinq textes classiques :

  1. Le Classique des Odes (Shijing),

  2. Le Classique des Documents (Shujing),

  3. Le Classique des Rites (Liji),

  4. Le Classique des Mutations (Yijing),

  5. Les Annales des Printemps et Automnes (Chunqiu).

C'est à travers ces textes que la figure de Confucius s'impose dans l'histoire impériale.

Toutefois, le statut de Confucius n'est pas resté identique tout le long de l'Empire. Son histoire fait face à des réinventions successives des Han jusqu'à aujourd'hui. Le développement à partir de l'époque Song (960-1279) a été qualifié de « néoconfucianisme » et fait partie d'une réinvention de Confucius. Après les Han, la Chine a connu, avec l'introduction du bouddhisme au 1er siècle, et son épanouissement sous les Tang (618-907) une rupture radicale. La pensée chinoise se développe dans le sens de l'introspection et de la métaphysique. La dynastie Song entame par opposition à l'aristocratie militaire des Tang, un retour vers l'éducation et l'enseignement confucéen, c'est un confucianisme métissé de bouddhisme qui connaît son essor (un confucianisme plus philosophique et plus introspectif que celui des Han.

D'autres évolutions caractérisent ce moment néoconfucéen sous les Song avec la datation des listes suivantes :

  • Les treize Classiques (Shisanjing),

  • Quatre livres.

Ce sont les deux derniers chapitres du Livre des rites : le Lunyu et le Mengzi, qui sont considérés depuis Zhu Xi (1130-1200), comme formant le cœur essentiel des Classiques. Les pratiques autours de ces Classiques évoluent à partir du 12e siècle. Zhu Xi, magistrat et penseur du néo-Confucianisme, se charge de l'édition des Quatre Livres et publie plusieurs commentaires et manuels destinés à l'enseignement des Classiques depuis la plus petites enfance:

  • Le Tongmeng xuzhui ( ce que les enfants devraient savoir),

  • Le Xiao xue (l'Éducation élémentaire),

  • Le Zhuzi jiali (les rituels familiaux).

Ses ouvrages sont plus concis et plus accessibles que les Classiques. Ils connaissent une très large diffusion dans l'ensemble de la sphère sinisé, de la Corée au Vietnam contribuant à y implanter une moralité néo-confucéenne.

Définition :

Néoconfucianisme : Néologisme occidentale pour désigner le courant de pensée hérité de la doctrine confucéenne originelle, qui prend son essor sous la dynastie des Song (960-1279) et qui prospère en Chine jusqu'au 20e siècle. Marqué par l'influence du bouddhisme, il œuvre pour raffermir l'éthique confucéenne par le biais de la métaphysique et de la cosmologie.

Cinq siècle plus tard, une autre rupture à lieu sous les Qing (1644-1912), le néoconfucianisme est jugé par certains trop abstrait, trop philosophique, trop déconnecté des textes originaux. C'est le mouvement des « études Han » (hanxue) qui est d'abord un renouveau philologique. On s'efforce de retrouver la forme originelle des textes classiques, tels qu'ils avaient cours sous les Han, et les Classiques des Rites (Liji, Zhouli, Yili) endossent une nouvelle importance. Toutefois, ce n'est pas un retour originel au confucianisme, c'est encore une réinvention de Confucius, qui répond à des enjeux contemporains marqués par la concurrence avec le bouddhisme, et la crise que connaît la société chinoise depuis la chute des Ming, et qui cohabitent encore longtemps avec les courants néoconfucéens. Au cours de la chronologie sur l'histoire de Confucius se superpose plusieurs lecture, qui obéissent parfois à des logiques opposées. La pensée confucéenne peut à la fois servir à conforter le pouvoir impérial et à le contre-balancer.

Le confucianisme est aussi accusé au 19e siècle par les japonais et les Européens à freiner la modernisation de la Chine. Mais le confucianisme fut aussi parfois, un objet de réforme. Le confucianisme est exégèse (interprétation philosophique et doctrinale dont le sens et la portée son obscure). Une exégèse appuyé sur le Gongyangzhuan, qui est apparu sur le commentaire du Chunqiu (les Annales des Printemps et Automnes) à la fin de la période des Han, et sert à partir du 18e siècle, la base des classiques sur une chronologie tournée vers l'avenir par un retournement habituel dans la tradition exégétique chinoise. L'exégèse sur le Gongyangzhuan propose une chronologie de l'histoire et de l'humanité en trois étapes allant du chaos à l'harmonie et portent sur la vie de Confucius et remonte à l'époque des Zhou. Or au 18e siècle, la tradition exégétique de ce ne se lit plus comme une chronologie tournée vers le passé mais vers l'avenir. Ce n'est plus une vision de nostalgie d'un âge d'or perdu, mais d'un mode d'emploi pour parvenir à un âge d'or futur.

On dit que ce sont les Occidentaux qui ont apporté à la Chine l'idée de progrès, d'espoir, et d'amélioration, mais cette idée existait déjà en Chine avec cette tradition du commentaire du Gongyangzhuan. Ce courant inspire en 1898, la tentative de réforme institutionnelle menée par Kang Youwei, « la réforme des Cent Jours » en essayant de réformer l'empire sous des bases confucéenne et non occidentales. Cela se heurte à une résistance de l'impératrice Cixi.

Aujourd'hui le Parti Communiste Chinois a beau insisté sur l'importance des traditions confucéenne et sur la continuité de l'histoire chinoise, le 20e siècle est bel est bien la fin de quelque chose. Confucius connaît une triple mort avec la suppression des examens impériaux en 1905, les Classiques confucéens cessent de constituer la base obligatoire de la formation des fonctionnaires. En 1912 disparaît avec l'empire le confucianisme institutionnel. Et le mouvement du 4 mai 1919 avec le slogan « A bas la boutique de Confucius » viennent consacrer la destruction intellectuelle et morale de Confucius, qui est rendu responsable des maux qui accablent la Chine. C'est sous Mao Zedong, sous la révolution culturelle (1966-1976) que se radicalisent les critiques contre Confucius en particulier dans les campagnes, accusé d'être rétrograde la figure de Lin Bao est associé à Confucius, étant un adversaire politique de Mao. « Critiquez Lin Bao, critiquez Confucius ». Rarement une culture s'est autant reniée que la culture confucéenne dans les dernières décennies de l'empire.

C'est depuis les années 1980, que Confucius est à nouveau omniprésent en Chine. C'est avec le miracle économique asiatique que Confucius fait son retour grâce à l'essor des quatre dragons : Taïwan, Hongkong, Singapour, Corée du Sud, à l'époque où la Chine est incapable de développer un économie capitaliste. Ces quatre Dragons viennent venger Confucius est les « valeurs asiatiques », devenant la clé économique de l'Asie. Depuis les années 2000, une véritable fièvre confucéenne touche la Chine. Hu Jintao lance en 2005 le slogan « Société d'harmonie socialiste », les instituts Confucius sont devenu dans le monde entier l'instrument de la propagande du régime. En 2008, la cérémonie d'ouverture des jeux Olympiques de Pékin un tableau fut orchestré par le cinéaste Zhang Yimou qui représentait des soldats de l'armée populaire de libération, habillés en lettrés-confucéens qui scandaient des aphorismes tirés des Entretiens. Xi Jinping cite régulièrement des Entretiens afin de mettre en avant sa connaissance des Classiques et à fonder sur l'héritage confucéen (opportunément réduit à un autoritarisme paternaliste) l'originalité de la civilisation chinoise.

Les Entretiens se retrouvent également au cœur des pratiques éducatives (renouant avec leur histoire sous les Han), avec l'essor des méthodes dites « traditionnelles » fondé sur la récitation des Entretiens et des autres Classiques dès la petite enfance, tandis que les enseignements « d'études nationales » (guoxue) sont proposés aux adultes pour leur faire découvrir la culture classique. Cette fièvre confucéenne touche enfin toutes les élites intellectuelle, qui multiplient les projets confucéens, notamment de compiler un canon confucéen (Ruzang) sur le modèle des canons bouddhique (Fozang) et taoïste (Daozang). Confucius redevient ce qu'il a été ; un emblème commode, une figure sur laquelle projeter tout types d'enjeux contemporains, ce qui est d'autant plus facile qu'il n'a laissé aucun écrit et que plusieurs traditions concurrentes se réclament du Confucianisme.

L'histoire de Confucius ne se limite pas à la Chine. Deux moments de la mondialisation de la figure de Confucius sont déterminants : le 1er commence avec la découverte et la traduction des Classiques confucéens par les missionnaires jésuites du 16e siècle. Les jésuites font découvrir à l'Europe la tradition intellectuelle chinoise, mais ils sont les 1ers à penser le confucianisme comme une philosophie. L'ouvrage déterminant est le « Confucius Sinarum Philosophus » publié en latin en 1687, (date qui marque le début de la sinologie européenne), par Philippe Couplet et d'autres. Dès lors la Chine devient aux yeux des européens indissociable de l'héritage de Confucius, véritable incarnation de la civilisation chinoise. La réussite économique de la Chine au 20e siècle fut interprété comme une victoire de la tradition confucéenne. Après la seconde guerre mondiale Taïwan, avec l'installation de Tchang Kaï-sheck, l'île fut un véritable conservatoire de la tradition confucéenne. En 1960, une révolution confucéenne est lancé en opposition au mouvement anti-confucéen en Chine continentale. Des courants confucéens se développent aussi dans la diaspora chinoise de Hongkong, Singapour et aux États-Unis avec le « Boston Confucianism ».

Cet intérêt à l'extérieur de la Chine a nourri le retour en grâce de Confucius en Chine, même depuis la fin de Mao. « On ne peut donc comprendre ni la destruction, ni la résurrection de Confucius au 20e siècle en se focalisant uniquement sur la Chine ».

Chapitre II : La pensée sur laquelle s'est bâti un empire (Entretien de Yuri PINES)

En-221 Qin Shi Huangdi réunifie le territoire chinois et instaure l'Empire. C'est l'aboutissement d'un long precessus enclenché au 6e siècle av. J-C par Confucius et ses disciples. Le mausolée de Qin Shi Huangdi à Xi'an symbolise l'unification de l'empire chinois. L'aboutissement d'un rêve d'unité inauguré par Confucius, le 1er penseur indépendant que l'on connaît de la culture chinoise. Il faut revenir sur la situation politique de la Chine à l'époque de la période des Printemps et Automnes (771-481 av. J-C).

Un rêve de stabilité

En -771, la dynastie des Zhou Occidentaux située à Haojing déplace sa capitale Luoyi et devient les Zhou Orientaux. Cela marque le déclin progressive du pouvoir royal. La Chine des Zhou était composé de centaine de minuscules États dans le bassin du fleuve Jaune, et dirigés par des ducs apparentés à la famille royale, qui plaçaient leur proche à la tête des différents États. Il y avait une ascendance, une descendance et des terres communes. Le roi, qui porte le titre de « Fils du Ciel », conserve sous les Zhou orientaux, son autorité cérémoniel mais perd peu à peu le pouvoir d'organiser les expéditions punitives contre des vassaux qui manquent de révérences à son égard, et de puissants États vassaux se mettent progressivement en place se proclamant indépendant.

Au fur et à mesure des Printemps et Automnes (771-481), ces éclatements politiques s'aggravent et se répercutent à l'intérieur des États, où les grandes familles tentent de supplanter le pouvoir des ducs, et les intendants celui des ministres. De cette période troublée, le pouvoir politique se disloque, mais reste aux mains d'une aristocratie héréditaire qui monopolise le pouvoir. Des discours de personnalités politiques nous sont parvenus, compilés par centaines dans le Zuozhuan, écrit par Zuo Qiuming. C'est un commentaire des Annales des Printemps et Automnes qui couvre une période plus longue que le Chunqiu mais qui est un complément de la période. On retrouve des thèmes centraux de la pensée de Confucius : importance de la stabilité sociale, de la hiérarchie, des rites censés guides l'aristocratie dans tous ses comportements, les Cinq fameux Classiques compilés à partir des Han. Tous les aristocrates étaient supposés connaître par cœur les textes canoniques, que Confucius cite régulièrement dans ses Entretiens.

Mais l'important est ailleurs. Dans la révolution qu'introduit Confucius, le statut sociale et politique ne devait pas refléter la naissance mais les qualités morales et intellectuelles de chacun. Confucius opère cette révolution en reprenant une opposition fondamentale qui existe déjà dans les discours du Zuozhuan : celle entre l'homme de bien junzi et l'homme de peu xiaoren. Pendant les Printemps et Automnes, cette opposition servait à distinguer les membres de l'élite aristocratiques du reste de la population. Mais on trouve déjà dans certains textes une nuance morale, pour qualifier un noble dont le comportement n'est pas à la hauteur de son statut. En 526 Zichan met en garde le dirigeant du royaume de Jin que s'il fait preuve d'avarice il sera un xiaoren. A l'inverse on peut préciser d'un homme qu'il est un junzi pour insister sur ses qualités. Jamais cette qualité ne vaudrait à un roturier.

Homme de bien et homme de peu

Ce pas, Confucius n'hésite pas à le franchir : si on étudie, si on se cultive, si on améliore sa conduite on mérite le statut d'homme de bien peut importe son statue d'origine (à l'exception des femmes). On peut parvenir à cette noblesse par l'étude et le travail sur soi. Cette redéfinition par Confucius change la manière dont le statut social et politique est conçu en Chine. On ne peut plus prétendre au titre de junzi au seul titre de sa naissance. L'appartenance à l'élite sociale et politique doit-être justifié par des qualités morales et intellectuelles.

Cette révolution accompagne une transformation sociale dont la carrière de Confucius est elle-même le symptôme. L'époque de Confucius est marqué par l'essor d'une nouvelle catégorie sociale, celle des shi « gentilhommes », des membres de la basse noblesse, qui par leurs compétences dans divers domaines, notamment les lettres, obtiennent des responsabilités intermédiaires dans l'administration des différents États chinois : ils préfigurent les lettrés-fonctionnaires de l'empire appelés au 16e siècle par les occidentaux : les mandarins.

Confucius est le 1er shi que l'on connaisse, et son enseignement sert à légitimer l'importance croissant qu'endosse cette catégorie. C'est la principale conséquence de la redéfinition de l'homme de bien qu'opère Confucius : elle permet d'inclure les gentilhommes à l'élite sociale et politique. Confucius décrit l'enseignement à suivre, les vertus à acquérir, le comportement à adopter en tant que shi pour accéder à l'élite chinoise.

Le sens de l'État

Confucius ne fait pas que légitimer le statut social des gentilhomme : il leur confère en même temps une mission. L'homme de bien doit œuvrer au service de la société et de son pays : sa vertu ne se réalise que dans l'action sociale et politique, en apportant au monde la moralité.

On trouvait déjà dans les textes canoniques des Zhou occidentaux, cette idée de mission associé au Fils du Ciel (tianzi) qui règne au nom du mandat céleste (tianming) qui lui impose de régler sa conduite sur les rites. Mais Confucius ne parle jamais des missions du Fils du Ciel. Dans la période extrêmement troublée dans laquelle il vit, où le grand enjeu est de retrouver plus de stabilité sociale, la possibilité d'un renversement dynastique est la dernière chose à laquelle il veut penser. Dans l'ordre politique dont rêve Confucius, la moralité du Fils du Ciel compte moins que celle des gentilhommes : c'est au shi de guider à la fois le peuple et le Fils du Ciel. C'est leur rôle d'éduquer collectivement leur souverain et de lui faire des remontrances lorsqu'il prend de mauvaises décisions. D'après le récit canonique de Confucius, lui-même n'a pas hésité à mettre en œuvre ce principe : c'est parce qu'il considérait qu'il était de son devoir de manifester le moindre désaccord avec son souverain que toute sa carrière a été faite de démissions et de changement d'allégeance.

Confucius reprenait une pratique de remontrance qui existait pendant les Printemps et Automnes et que l'on retrouve à de nombreuses reprises dans le Zuozhuan, mais n'avait pas la même signification puisque le ministre et le souverain critiqué appartenaient à la même aristocratie, le souverain n'ayant pas le pouvoir de punir le ministre pour ses remontrances. Les choses sont bien différentes lorsque c'est un simple shi qui critique son souverain : même si pendant la période des Royaumes Combattants, les souverains tolèrent parfois ces remontrances de peur de voir un précieux serviteur partir au service d'un rival. Le shi prend malgré tout le risque de perdre son emploi, lorsqu'il critique son souverain.

La situation des gentilhomme devient encore plus délicate sous l'empire vers -221 qui les place dans une situation interminable et cela s'avère encore plus dangereux que sous Confucius. Sous la dynastie Song sont introduit les châtiments corporelles envers les lettrés-fonctionnaires. De nombreuses anecdotes décrivent pour certains leur arrêt de mort. Rien que le fait de les démettre de leurs fonctions les empêchent de remplir leur service envers la fonction publique car contrairement à l'époque de Confucius, il n'y avait plus de pouvoir concurrent qui coexiste. C'est d'autant plus un paradoxe si l'on considère que Confucius prônait un souverain unique.

Retrouver l'âge d'or

La société dont rêve Confucius est sont enseignement, censé permettre l'avènement, ne peut se comprendre que par référence au passé de l'histoire chinoise : le passé est la matière première de l'enseignement confucéen, « c'est en étudiant que l'on peut identifier les erreurs à éviter et les exemples à suivre ». C'est la raison pour laquelle on lui attribue l'édition du Chunqiu (les annales des Printemps et Automnes). Le principale modèle que Confucius tire du passé chinois est celui des Zhou Occidentaux (1045-771 av. J-C), c'est pour Confucius le modèle même du bon régime, où les rites et l'autorité du Fils du Ciel étaient respectés et tous ses efforts visent à le restaurer car il le voie comme un âge d'or qui a laissé place à une longue désintégration constante, amenant à une lente évolution vers l'anarchie, qu'il convient d'enrayer en restaurant le pouvoir du Fils du Ciel.

Les textes du Zuozhuan montre que tout le monde durant cette période troublée partage son soucis de restaurer la stabilité sociale. Mais la solution qui est envisagé est une coexistence pacifique des différents États : Confucius est le 1er à proposer le retour à un pouvoir unifié sous les ordres du Fils du Ciel, afin de restaurer la stabilité. Le 1er texte de cet impératif se trouve dans le chapitre 16 de ses Entretiens. L'enseignement de Confucius est indissociablement prescriptif et historique : la longue dissolution du pouvoir des Printemps et Automnes représente pour lui, l'erreur à éviter, et celui à imiter est celui des Zhou occidentaux. Lorsqu'en -221 Qin Shi Huangdi met fin à la période des Royaumes Combattants en instaurant la dynastie Qin, le régime impérial qu'il met en place ne s'inspire pas uniquement de Confucius et de ses héritiers. Il puise d'autres courants intellectuels comme les légistes qui sont anti-confucéen, d'après les écrits de Sima Qian. Pourtant le premier empereur à tout de même mit en place un héritage qui doit beaucoup à l'héritage confucéen. C'est bien l'enseignement de Confucius qui impose progressivement l'idée, au cours des Royaumes Combattants, que la seule issue possible de la Chine était de revenir à un gouvernement unifié, « tous sous le même Ciel », tous devaient être soumis au Fils du Ciel, comme à l'époque des Zhou occidentaux.

Même si ce n'est pas Confucius qui a crée l'Empire, il est un élément central du système impérial, qui découle directement de la révolution confucéenne : la place des lettrés-fonctionnaires dans l'administration impériale. Il faut attendre les Song pour que s'élabore, avec les examens impériaux, un système institutionnalisé de formation et de recrutement de ces lettrés-fonctionnaires censés garantir l'accès aux charges politiques comme récompense de la vertu et de l'étude d'un corpus confucéen.

Malgré les persécutions lancés par Qin Shi Huangdi contre certaines catégories de lettrés, certaines inscriptions épigraphiques attestent de l'importance des lettrés-fonctionnaires inspirés par l'enseignement de Confucius et par son idéal du junzi.

Malgré le changement dynastique, il y a une stabilité du système impérial qui doit beaucoup à Confucius. La hiérarchie sociale de l'empire a trouvé dans son enseignement une légitimité qui la rendait beaucoup plus acceptable que d'autres sociétés hiérarchiques. Malgré la rigidité du système social hiérarchique en Chine, il était possible pour n'importe quel chinois, du moins en théorie, d'intégrer l'élite à la seule force de ses qualités intellectuelles et morales. La moralité confucéenne a introduit en Chine le principe d'égalité des chances : tout homme naît avec des chances égales de parvenir au statut de junzi, qui détermine l'accès aux fonctions politiques, ou bien de demeurer un xiaoren, ce qui ne l'empêche pas de faire fortune. Pendant toute l'histoire impériale chinoise, l'égalité politique ne fait pas partie de l'horizon du pensable, car l'accès aux responsabilités politiques doit se mériter, mais cette égalité des chances au moins sur plusieurs générations suffit à rendre le système acceptable.

Durant l'histoire impériale chinoise des roturiers ont pu parvenir à des positions officielles, ce qui rendait acceptable l'extrême hiérarchisation de la société et de son intégrité politique. C'est à Confucius que la Chine doit les fondations de l'Empire en alliant son histoire impériale, sa mobilité sociale et sa hiérarchie stricte des statuts.

Chapitre III : Des Mandchoues pas si confucéens (entretien de Pierre-Étienne WILL)

Loin des fantasmes qui entourent le vertu confucéenne, la méritocratie de l'empire, sont également présent l'achat de titres et de la corruption.

Avec les jésuites furent vanté la moralité, la sagesse et le sens de l'État de ces mandarins-philosophes et la méritocratie du système mandarinal. Au 19e siècle fut critiqué l'immobilisme d'une bureaucratie uniquement préoccupée par des Classiques et déconnecté des exigences du monde moderne. Mais on est passé à côté de la diversité et des évolutions de ce monde bureaucratique chinois. Les fameux examens impériaux ne font leur apparition que sous la dynastie des Sui (581-618), puis des Tang (618-907), mais il ne concernent qu'une minorité de fonctionnaires, et gèrent les échelons les plus élevés de la bureaucratie impériale. Ce n'est qu'à partir de la dynastie des Song (960-1479) qu'ils se généralisent véritablement avant d'atteindre leur âge d'or dans la chine impériale tardive des Ming (1368-1644), puis des Qing (1644-1911).

Il existe une continuité du vocabulaire bureaucratique tout au long de l'histoire impériale, mise en évidence dans une synthèse comme le lidai zhiguan biao « Tableau des fonctions officielles sous les dynasties successives » en 1989, qui retrace sous forme de tableaux et de commentaires, la généalogie des différents postes et titres depuis les origines de l'histoire. C'est l'extrême diversité du monde bureaucratique qui saute aux yeux. Même à partir des Song, alors que les examens sont censés homogénéiser le corps des lettré-fonctionnaires (shidafu) formés aux textes classiques, qui s'oppose à l'aristocratie militaire des Tang et des Cinq Dynasties, ceux-ci constituent un milieu très diversifié.

C'est tout particulièrement le cas sous les Qing, dont la famille impériale et l'aristocratie étaient mandchoues, où cohabite plusieurs voies d'accès à la bureaucratie : on y trouve aussi bien des shidafu passés par les examens impériaux que des « chinois des bannières », descendants des familles qui s'étaient alliées, avant la conquête de 1644 aux mandchoues que des mandchoues, dont beaucoup ont intégrés l'administration avec le titre d'étudiant impérial ». Parmi les Mandchoues un petit nombre passèrent les examens civiles en bénéficiant de certaines facilités, mais la plupart ne doivent leur position qu'à leurs qualifications militaires. Deux bureaucraties cohabitent sous les Qing, civile et militaire à tous les échelons.

La répression des grandes révoltes du 19e siècle (surtout à Taiping) entraîne par ailleurs l'intégration au sein de la bureaucratie civile de fonctionnaires sans qualification académique mais récompensé pour leur participation à la lutte contre les rebelles. A cela s'ajoute l'achat, en toute légalité, de titres de brevets et même de postes de plus en plus courant chez les Qing.

Méritocratie à la chinoise accessibles à tous les hommes : les seuls à en être exclus sont les criminels condamnés et les individus appartenant à certaines catégories stigmatisées, sorte de parias de la société chinoise (les esclaves et autres dépendants, les prostituées, les musiciens et acteurs de certains groupes régionaux tels que les bateliers du Sud de la Chine, qualifiés de « classe viles » (jianmin) par opposition aux honnêtes gens (liangmin).

Si les exemples d'ascension sociale existent, ils sont passablement rares, et leur nombre est sans commune mesure avec la place qu'ils occupent dans le discours officiel sur le système des examens. Ces examens sont si difficiles et leur préparation représente un tel investissement (en temps comme en argent, car il faut pouvoir se consacrer pendant des années uniquement à l'étude) qu'ils sont dans la majorité des cas monopolisés par une élite sociale extrêmement mince.

On trouve de véritables dynasties de fonctionnaires en Chine, et les individus qui intègrent le milieu bureaucratique de l'extérieur sont souvent issus de classes sociales proche des shidafu. Sous les Ming on observe une porosité, mise en lumière par Yü Ying-shih, entre milieu bureaucratique et milieu marchand, malgré la différence de statut censé existé entre les deux catégories : certains grands marchands, tels les marchands de sel de Yangzhou (dans le Jiangsu) possède une impeccable culture lettré et son traités sur un pied d'égalité par le lettrés-fonctionnaires (le gouvernement a régulièrement besoin de leur soutien financier), et il arrive même que les carrières se construisent à cheval sur le commerce et l'administration. Dans les annales véridiques des Ming (Ming shibu), un fonctionnaire a exercé une activité de marchand de sel à côté de ses fonctions bureaucratiques qui ne lui est reproché qu'au moment où il intègre le ministère des Finances, il sera simplement muté.

Le capital social, culturel et économique compte donc beaucoup dans le système des examens impériaux depuis leur instauration, mais le rôle de l'argent dans les carrières publique s'est encore exacerbé lorsque la dynastie des Qing a généralisé l'achat de titre et de passe-droit au 18e et surtout 19e siècle pour faire face a des besoins financiers toujours plus importants : réalisation de grands travaux, payer les indemnités exigés par les puissances étrangères à l'issue de divers conflits armés et financer la politique d'auto-renforcement du pays. Il est facile d'acheter le titre de jiansheng « étudiant du Collège impérial permettant de jouir d'un certain prestige social et d'adhérer à une carrière administrative ». Les fonctionnaires sont aussi nombreux à verser des contributions pour accélérer leur carrière ou racheter une sanction. Il est également possible sous les Qing, de payer pour vous inscrire son nom sur la liste d'attente pour un poste spécifique. L'achat de titre existe de façon continue dès les années 1730 jusqu'à 1905. Cette pratique est rapidement devenu un usage courant, y compris dans les milieux où les enfants avaient de bonnes chances pour réussir au concours : l'accès aux postes est actuellement encombrés et l'attente est si longue, que certains parents choisissent d'acheter des postes à leurs fils dès leur enfance, en espérant qu'ils vivront assez longtemps pour occuper un jour un poste officiel.

Au 19e siècle les (Chuanchu shanhou coubei shili) « Règlements préparatoires pour la reconstruction au Sichuan et au Hunan » énumèrent les noms de 10 978 individus ayant acheté un poste au cours de l'année 1789, où l'on trouve les 4 fils d'un homme du nom de Wu Jing âgé de 3, 3, 4 et 13 ans. Ce père est pourtant gouverneur du Henan et fils d'un vice-président au ministère du personnel. A cette même époque, moins de la moitié des fonctionnaires avaient obtenu leur poste par la voie des examens. Cette généralisation des achats de titres et de postes force à relativiser sur la vision romanesque d'un système bureaucratique organisé par la morale confucéenne. Il faut rappeler que l'inspiration de l'administration n'a jamais été uniquement confucéenne. Elle doit aussi beaucoup au légisme.

Éduquer le peuple

Ce que l'on entend par le « confucianisme » c'est l'attachement aux textes Classiques, l'adhésion à une morale focalisée sur l'humanité et la piété filiale (ce que l'on doit aussi beaucoup à Mencius), l'insistance sur le service de l'État et sur l'éducation du peuple (élément qui se retrouve tout au long de l'histoire chinoise). La conformité de ces principes « confucéens » constituent les critères des bons et mauvais fonctionnaires. Les histoires officielles et les inscriptions funéraires de titre de noblesse y compris posthumes, pour leur parents comme manifestation de piété filiale se généralise à tel point sous les Ming et les Qing, qu'un ministère de la Fonction publique est consacré à cette question.

L'éducation des populations était théoriquement le 1er devoir des fonctionnaires locaux. Sous les Qing, les magistrats de sous-préfectures était censés soumettre des populations à des séances périodiques d'enseignement de l'Édit sacré, où on les incitaient à travailler dur, à bien se comporter, à ne pas commettre de crime. Il y avait aussi l'affichage d'exhortations et d'interdictions de toutes sortes. Lors des procès le juge se faisait aussi éducateur. Sous l'éducation des fonctionnaires au 19e siècle se multiplient des anthologies de la littérature classique et des manuels de bonne conduite, qui montre que la culture de l'élite et des comportements ritualisés qui s'y attachent au sein du monde bureaucratique est important. Le rapport à l'argent est également souvent une obsession. Il est de bon ton dans certains milieux bureaucratiques de faire fortune.

Autobiographie des lettrés

En dehors de sources officielles qui plonge le lecteur dans un monde irréaliste où domine la discipline et les grandes idées. C'est une vision beaucoup plus réaliste et pragmatique du milieu bureaucratique que l'on peut accéder grâce à d'autres sources, notamment les autobiographies de fonctionnaires. Dans celles qui n'étaient pas destinées à la publication, les auteurs se livrent, avec parfois une franchise surprenante sur leurs ambitions, leurs doutes, leurs remords. On retrouve dans ces textes la morale publique inspiré de Confucius et Mencius, mais confronté aux contraintes et aux compromis de la vie réelle. L'autobiographie de Zhang Jixin, (Dao Xian huanhai jianwen lu) (1830-1860) « choses vues et entendues dans le monde des fonctionnaires sous les règnes Daoguang et Xianfeng » décrit le système de corruption du système bureaucratique à laquelle l'auteur lui-même est obligé de participer. Sa carrière avait débuté par l'achat d'une charge officielle (108 taels pour le jiansheng) lui permettant de passer le licence et le doctorat. Sa vénalité reste omniprésente tout le long de sa carrière que ce soit pour accélérer son avancement, se tirer d'un mauvais pas, ou s'assurer la bienveillance des hauts fonctionnaires de la capitale. Il en parle comme une chose regrettable, mais contre laquelle il est vint de lutter.

Les références aux textes Classiques et aux valeurs morales célébrés par la traditions des lettrés sont surreprésentés pour mettre en lumière un monde beaucoup plus pragmatique, dans lequel le « confucianisme » occupe une place assez restreinte. Le système bureaucratique chinois n'a jamais été immobile mais il connaît une évolution accélérée après la défaite catastrophique de la guerre de l'Opium (1856-1860). Il y a alors une prise de conscience graduelle sur la nécessité de transformer radicalement la formation des fonctionnaires et les pratiques administratives : de nouvelles écoles apparaissent : le Tongwen Guan (l'École des savoirs combinés) de pékin, où sont enseigné les langues étrangères et plus tard les sciences de l'Occident, des administrations sont crées (le Zongli yamen, chargé des relations diplomatiques avec les puissances occidentales) tandis que l'armée devient le foyer d'une modernisation progressive. Ces modernisations s'accélèrent avec la répression de la révolte des Boxers, durant la période dite des « Nouvelles Politiques » (xinzheng) entre 1901 et 1911. C'est dans ce contexte que les examens impériaux sont supprimés en 1905.

Les transformations de l'administration chinoise ont donc débutés bien avant 1911, et les pratiques de la bureaucratie impériale survivent quelques temps après la fin de l'empire. Après la suppression des examens en 1905 et la chute de l'empire en 1911, les archives témoignent d'une véritable inertie administrative. La véritable rupture administrative n'interviendra qu'avec la consolidation du régime du Guomindang (Parti Nationaliste) en 1928. Pendant la période des « Seigneurs de guerre » on observe une hybridation progressive de l'administration, favorisé par la cohabitation d'anciens lettrés-fonctionnaires et de diplômés des nouvelles écoles modernes, voire d'universités étrangères. Il subsiste jusqu'à la République Populaire de Chine quelque chose de cette éthique du service publique qui met en place le service du peuple au dessus de celui du régime, ce qui pousse certains intellectuels à assumer, tels les lettrés-fonctionnaires d'antan, leur devoir de remontrance envers les dirigeants, quitte à prendre de grands risques en allant présenter leurs critiquent en emportant leur cercueil avec eux, comme le faisait certains à l'époque des Ming d'après la légende.

Chapitre IV : Un universalisme à la chinoise

La Chine de Xi Jinping dénonce les droits de l'homme comme un nouvel impérialisme occidentale et promeut les valeurs asiatiques du confucianisme.

Confucius peut-il servir d'alarme contre l'impérialisme occidentale ?

Le lettré Kang Youwei à la fin du 19e siècle avait rêvé d'une réforme de la Chine sur une base confucéenne, pour lui permettre de résister aux assauts des puissances occidentales et du Japon. Bien que ce projet fut vite avorté, il ressurgit aujourd'hui en Chine par des mouvements qui se réclament de lui : la « clique Kang » (Kang dang) voit ainsi dans le réformateur le choix du confucianisme contre les Lumières occidentales. Au cours des années 90 ont lieux des débats sur les « valeurs asiatiques ». Le miracle économique asiatique fait souffler un vent d'optimisme mais des critiques s'élèvent aussi en Asie due aux infractions des droits de l'homme mais qui pose la question si ces droits de l'homme ne sont pas une forme d'impérialisme occidentale déguisée.

Ces valeurs asiatiques sont définies à Singapour et popularisés en 1995 par « The Voice of Asia » que publie l'ancien ministre malaisien Mahathir Mohamad et le conservateur japonais Shintaro Ishihara. Selon eux, l'Asie n'a pas besoin de droits de l'homme importé d'occident car se serait sacrifier ses valeurs asiatiques (qui sont plus en phase avec l'histoire des pays aristocratiques représentant des valeurs distincts), dans une lutte déguisée que lui livre l'occident sous couvert d'universalisme. Ces valeurs asiatiques se réclament du confucianisme, où l'on retrouve les cinq valeurs cardinales :

-subordination de l'individu à la société,

-l'importance de la famille comme racine de l'État,

-le respect de l'État pour l'individu,

-le choix de l'harmonie sur le conflit,

-la coexistence pacifique entre le religions complémentaires.

Ces valeurs figurent dans l'ouvrage « Les valeurs essentielles de la civilisation chinoise » en 2017, par Chen Lai, professeur de philo à l'université de Tsinghua et spécialiste du confucianisme à l'époque des Song et des Ming. Ce discours sur les valeurs n'a pas survécu mais connaît un succès croissant depuis 2012. Chen Lai à le soutien sans faille du gouvernement depuis l'élection de Xi Jinping, car ses ouvrages raisonnent avec la stratégie du Parti. Au cœur de sa pensée l'ambition est de prouver qu'il est possible de construire, à partir de la vertu d'humanité (ren) un socle de valeurs qui ne fait pas passer l'individu avant la société et ne sacrifie pas l'harmonie au profit du conflit comme le font les valeurs occidentales. Ainsi, les valeurs asiatiques peuvent mieux prétendre à l'universalité.

Conjuguer tradition chinoise et modernité

Au 19e siècle, la tradition chinoise est dénoncé par de nombreux réformateurs comme incompatible avec la modernité. Dans le domaine linguistique la langue chinoise est devenue un instrument de soft power mondiale, cela se voit également avec la médecine chinoise traditionnelle qu'elle exporte en Afrique en 1960.

S'agit-il aujourd'hui d'exporter Confucius et les valeurs aristocratiques ?

Depuis 200, le nombre d'instituts et l'influence linguistique et culturelle pourrait le laisser penser. Mais la Chine de Xi Jinping cherche moins à imposer un nouvel universalisme au monde plutôt que de saper l'idée d'un ordre mondiale régit par des valeurs universelles. Toutefois, il n'y a pas de programme cohérent de confucianisme dans le monde. L'enseignement reste politique et flou. Cependant, ces institutions ne sont pas dépourvues d'un rôle politique. L'anthropologue Marshall D. Sahlins dénonce le rôle politique et de propagande endossé par les instituts Confucius qui donnerait une vision partisane et tronquée de l'histoire chinoise et promouvrait la politique étrangère du pays dans la lutte de l'indépendance de Taïwan et contre la propagande anti-chinoise étrangère sur les Ouïgours et le Tibet.

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